Carte postale confinée – Amélie Charcosset

Carte postale confinée – Amélie Charcosset

Chère L-Imprimerie,

Ce matin, Laure m’a envoyé des photos de toi, et ça m’a fait une bouffée de grande émotion: on dirait que ça fait des siècles, n’est-ce pas? Me manquent les rires des filles, la voix de Jonas quand il passe des coups de fil en allemand à côté, l’odeur du café même si je n’en bois jamais, la petite sérigraphie offerte par ma sœur à Noël dernier: un petit garçon qui regarde par la fenêtre, hissé sur la pointe des pieds sur une pile de livres. J’aime beaucoup cette image, des livres qui servent à ça: à élargir les horizons.

Depuis un mois et demi, j’ai essayé de faire cela sans cesse, élargir les horizons. Les ateliers que je devais faire dans L-Espace du fond, je les ai basculés en ligne, tous d’un coup, tout à coup, sans trop y réfléchir. Ç’a été le grand engouement, et ce que je faisais pour me faire du bien (j’avais tant envie de retrouver un espace dans lequel je puisse me concentrer quelques heures, de la création avec d’autres, des visages aimés…) s’est avéré faire du bien à d’autres aussi, et je me suis installée là-dedans, dans ce sens-là que ça pouvait donner à ce que nous vivons.

Le voyage de ces dernières semaines a été immobile, forcément, mais pas moins riche pour autant. Il y a tant de confins de moi que je n’avais pas encore explorés! J’en suis toute éberluée.

J’ai commencé par rassembler mon énergie. Je suis passée d’actualiser les sites des journaux de plusieurs fois par heures à quatre fois par jour, puis à une fois tous les deux jours, et maintenant, je ne sais plus quand c’était la dernière fois. Je suis allée grappiller les miettes d’énergie partout où j’avais l’habitude d’en laisser parce que je me suis rendu compte qu’en énergie personnelle non plus, il n’y a pas de petites économies. J’ai décidé de ne pas poursuivre certains mandats qui ne me parlaient plus, clarifié ce que j’avais envie de faire, arrêté de mettre un réveil et continué ce qui me faisait du bien et qui était encore autorisé: les jeux de mots douteux, les grandes tasses de thé, les crèmes à la rhubarbe avec les premières tiges de la saison, les chansons à tue-tête, et l’écriture.

J’ai continué en décidant de rêver GRAND, non pas aux prochains mois parce que ça me fait bien trop peur et ça me semble beaucoup trop flou, mais vraiment vraiment loin, genre, à 300 ans. À 300 ans, si j’étais encore là, je ferais quoi? Ça m’a fichu la frousse et des frissons en même temps. Ça m’a soufflé des envies et des besoins que je n’écoutais pas forcément jusqu’à maintenant.

Et enfin, je me suis mise en action. Avant de te quitter, chère Imprimerie, j’avais embarqué avec moi quelques livres de ma bibliothèque. Parmi eux, un trésor qui me donne des fourmis d’enthousiasme dans les mains: 100 modèles de reliure créative, d’Alisa Golden. Je l’avais déjà longuement feuilleté, mais je n’avais jamais agi avec lui. Là, j’ai choisi des modèles, j’ai fait des tests, j’ai essayé de m’approprier une matière que je ne connaissais pas. J’ai adoré ça.

Voilà, chère L-Imprimerie, ce qui se passe pour moi loin de toi. J’ai hâte de revenir te voir, de garer mon vélo contre le muret de la terrasse, d’ouvrir les deux portes, d’allumer les lumières, et de m’installer à mon bureau en jolie compagnie, parce que si dans cette période où tout bouge, il y a une chose qui ne bronche pas, c’est bien celle-ci.

À bientôt L-Imprimerie, à bientôt les ami·e·s,

Amélie