Carte-postale confinée – Sophie Mirra Grandjean
Salut l-Imprimerie,
J’ai confondu les destinataires en chemin, vous me le pardonnerez j’en suis sûre.
Morcelées, est l’adjectif qui décrit au mieux mes journées alors qu’interrompues est celui qui correspond à mes activités. Tout ce que j’entreprends reste ouvert, un peu comme à l’atelier, alors qu’ici la terre sèche, là-bas la barbotine repose, par-ci la sigillée décante, par-là les tests cuisent; pas du tout comme à l’atelier, alors que biffer les lignes de ma liste «à faire» est devenu si rare.
Le calendrier, je ne sais plus, deux semaines ou deux mois. Mes journées se ressemblent mais je suis chaque jour surprise.
Je ne me sens pas confinée, je vis dans ma bulle, ou sur un nuage; brouillard de fatigue, inquiétudes et joies. Je ne suis pas confinée, je fais une balade par jour.
Ça faisait longtemps que je ne me promenais plus. Les sons du printemps sont plus vivifiants que jamais. Les oiseaux et les insectes chantent alors que les machines des hommes font silence. J’ai la sensation d’un temps lent, comme si différentes vitesses avaient fusionnées sur le rythme de la saison fleurie. Les odeurs sont fraîches et gourmandes. Je laisse mes yeux parcourir la campagne verte, marche jusqu’à la forêt qui m’apporte la sensation d’un profond réconfort.
Tu dors, tu te réveilles. Des promeneurs croisent notre route, chacun garde ses distances et lance un bonjour timide. Étrange climat pour débarquer dans la vie.
Le ciel est immaculé, vaste, la vision nette. C’est beau. Je n’avais jamais vu ça, le ciel tout bleu. Tu ne le vois pas, pas encore. Alors, je te raconte le ciel sans avions.
Ce n’est qu’une parenthèse, déjà bientôt refermée.
Un de ces jours, je te présenterai un lieu qui héberge l’imaginaire, où certaines parenthèses sont possibles en tout temps.
Je m’y plait seule dans le calme. Le son de mes mains qui pressent, tapent, coulent la terre emplit l’espace avec pour seul accompagnement celui de mes pas, et parfois celui d’un podcast diffusé depuis mon portable. Je perçois son volume avec ses plafonds hauts et j’écoute sa résonance. Sur les tables et étagères il y a toujours des nouveautés. Il me suffit d’un tour pour observer les objets hétéroclites qui s’y trouvent, la délicatesse de leurs formes, leurs maladresses aussi, et pour questionner leurs histoires.
J’apprécie d’y être entourée, écouter les conversations, répondre aux questions, apprendre, me laisser distraire pour une pause café ou simplement pour faire taire la cafetière et profiter du parfum qu’elle diffuse avant de retourner à ma table de travail. On y entend les rires flutées des unes et les jurons des autres suite aux splash, plouf, crack, bing.
J’aime y entrer, puis réaliser soudain qu’il fait déjà nuit.
À vite,